Prothésiste dentaire : une histoire familiale
Ce qui est frappant lorsqu’on rencontre Ivan c’est sa curiosité spontanée. Tout ce qui touche de près ou de loin au monde de l’art dentaire le séduit et le questionne. C’est d’ailleurs ce qui ressort de mon entretien avec lui ce jour-là : un prothésiste dentaire séduit et passionné par son métier qui s’est remis en question toute sa carrière.
Ivan est né à Milan en 1963, il grandit en écoutant son frère ainé prothésiste parler de son métier et passe du temps à l’observer travailler. Pour lui ça ne fait aucun doute : plus tard il réalisera des prothèses dentaires. Ivan commence sa formation en Italie dès ses 14 ans. Ce sera une période studieuse et délicate jusqu’à ses 19 ans dont il se souvient de la rigueur : « En Italie c’était bien différent à l’époque. Je travaillais dans un laboratoire le jour et j’allais ensuite me former aux cours du soir. C’était très contraignant alors qu’à cet âge on a surtout envie de s’amuser. »
Une fois son diplôme en poche, Ivan intègre un laboratoire au sein d’un cabinet dentaire où il travaillera beaucoup en prothèse adjointe. Puis en 1987 il effectue un voyage au Mexique durant lequel il rencontrera une jeune française qui deviendra son épouse. Il a donc 23 ans lorsqu’il vient s’installer en France.
Un laboratoire de prothèse en France
« Quand je suis arrivé en France j’ai intégré un grand laboratoire de prothèse spécialisé dans de grosses reconstitutions, on faisait des bridges complets, beaucoup de réhabilitations occlusales… ». Le propriétaire de ce laboratoire s’appelle Marc Vincent et c’est lui qui lui donnera les meilleurs conseils à notre jeune prothésiste pour travailler dans ce métier.
« Il m’a appris énormément. C’est lui qui m’a donné le goût du travail bien fait, bien fini, de prendre le temps et le soin d’aller au bout de mon labeur. C’est ce qui fait aussi que j’aime tellement ce métier, que j’ai toujours pris énormément de plaisir à travailler. » Ivan sourit et me dit que c’est précieux d’aimer ce que l’on fait, qu’il n’a que rarement eu la sensation de travailler finalement.
Il m’explique aussi combien il a été rêveur toute sa vie et que parfois ça ne lui a pas rendu service. « Marc m’a expliqué très vite que nous sommes une profession discrète qui travaille dans l’ombre du dentiste, qu’il faut s’appliquer dans son travail mais ne pas s’attendre à beaucoup de retours. J’ai mis du temps à l’accepter et surtout à prendre en compte toute la valeur de ce conseil. « Ne t’attend jamais à rien en retour ». J’ai mis du temps à le comprendre mais après ça m’a beaucoup servi à tempérer la passion qui m’animait. Quand tu fais quelque chose pour le plaisir de le faire, c’est bien plus constructif que de travailler pour des bravos qui ne viendront pas. »
La création du laboratoire
En 1992, Ivan se sent assez expérimenté pour monter son propre laboratoire. Il s’installe à son compte malgré un contexte économique peu favorable à l’entreprenariat et loue une cheville à une autre prothésiste. L’ambiance est plutôt bonne et Ivan développe son réseau de clients avec un fort pourcentage de travaux réalisés en implantologie.
Très rapidement Ivan décide avec son associée d’acheter un laboratoire ensemble et ils le conçoivent avec beaucoup de soins. « Je voulais un endroit propre et accueillant, un lieu agréable pour recevoir les patients lorsque les praticiens me les envoyaient. On a fait de gros travaux, nous nous sommes beaucoup investis dans ce projet. Avec le recul, je me rends compte que j’attendais trop de ce laboratoire, j’ai un peu trop rêvé. J’ai fait quelque chose de superbe qui n’a pas forcément été rentable pour mon exercice, dit-il avec un sourire nostalgique. C’est comme ça que je me suis confronté aux limites de ce métier : on ne sera toujours que des hommes de l’ombre. Si je devais refaire quelque chose dans mon parcours je pense que j’aurais aimé être dentiste pour être vraiment au contact des patients. Je me suis aperçu de ça un peu trop tard pour reprendre mes études. »
Les intérêts du numériques en prothèse dentaire
Dès 1999 Ivan comprend les intérêts du numérique en prothèse et n’attend pas pour s’équiper, il achète un scanner et se forme pour utiliser les apports du digital dans son laboratoire. « On a une qualité qui peut se reproduire à l’infini à chaque fois. Une précision inégalée. Une reproductibilité de fabrication aussi. Manuellement on ne pouvait pas décider de faire des chapes à 0,4 mm partout et avoir des bords aussi précis avec cette facilité d’exécution. En 10 minutes n’importe qui pouvait faire une chape avec une précision étonnante. On allait vers l’implantologie et l’usinage des pièces pour les connectiques implantaires étaient déjà largement mieux que les coulées. On pouvait donc proposer à un coût équivalent un produit plus précis, plus fiable, plus rapide et parfois même moins cher, l’intérêt était incontestable. »
Le goût de la formation et de la transmission
Il reçoit à cette époque des étudiants en dernière année à Garancière en stage d’une semaine dans son laboratoire : « J’en ai revu certains des années après qui me disaient combien ce stage leur avait été bénéfique et qu’il avait pu développer une relation de confiance avec leur prothésiste parce qu’ils avaient compris les problèmes auxquels ils pouvaient faire face durant leur semaine chez moi. Si tu ne comprends pas les problèmes de l’autre, comment veux-tu les résoudre ? » Il trouve que ce type de relation de travail basée sur la communication et l’échange devrait être une norme. « On peut ramener ça au football en fait. Tu peux avoir les meilleurs joueurs du monde dans ton équipe, s’ils ne jouent pas ensemble en bonne cohésion, t’as pas d’équipe, ou en tous cas tu n’as pas de succès » explique Ivan.
En 2008 l’investissement et le travail du laboratoire est récompensé par un prix de la CRAMIF pour la qualité de vie au travail, mais en 2016 il faut se poser de bonnes questions pour l’avenir du laboratoire. « Il aurait fallu 250 000 euros pour s’équiper complètement en digital et franchir le cap du numérique qui devenait un incontournable des laboratoires de prothèse. On ne se voyait pas ni l’un ni l’autre refaire un nouvel effort financier. On a décidé de vendre et je suis parti travailler pour une société qui produit des implants. »
Ivan y restera 2 ans avant d’intégrer le réseau de centres dentaire DENTEGO en tant que prothésiste référent.
Un nouveau défi avec DENTEGO
« Le souci chez DENTEGO c’est que tout ce que je fais me plait. Il faut bien que je commence mes journées par quelque chose mais j’apprécie chaque part de ma fonction. Je me déplace environ 100 jours/an directement dans les centres pour accompagner les praticiens dans leurs projets prothétiques et c’est vraiment un moment plaisir pour moi qui passe enfin un moment au contact des patients. Les gens découvrent notre métier et c’est très gratifiant. »
De fil en aiguille il profite de ces échanges pour poursuivre sa formation et sa culture du métier : lecture de scanner, lecture de radios, participation aux projets de développement de la chirurgie guidée complète en implantologie à l’intérieur du réseau… « J’ai le sentiment que plus j’avance, plus je suis ignorant » dit-il avec un réel plaisir.
Il réalise des tutoriels pour les équipes du laboratoire, assure la formation interne du personnel et participe au contrôle qualité des prothèses. Ivan garde le plaisir de l’indépendance en étant très autonome dans la structure. Il apprécie être aujourd’hui formé en digital par des anciens collaborateurs qu’il a lui-même formés.
Conseils pour les jeunes prothésistes dentaires
Quand je demande à Ivan s’il a un conseil à donner à de jeunes prothésistes il n’hésite pas une minute : « Il faut rester dans la communication et essayer de faire valoir son point de vue. Parfois si on respecte à la lettre les consignes d’une fiche de labo on risque de compromettre la qualité de la prothèse, c’est important d’expliquer et d’argumenter son point de vue. Vissée ou scellée c’est une chose mais parfois il faut faire des compromis pour la pérennité de restauration prothétique. » Même s’il reste un passionné d’implantologie, Ivan déplore un peu que désormais la prothèse adjointe soit laissée de côté et qu’on la boude « Il y a un vrai savoir-faire, et tout le monde ne l’a pas. C’est dommage de ne pas se former plus sur ce sujet car si l’implantologie se démocratise, la prothèse adjointe est encore une réalité pour de nombreux patients. Mais ce n’est pas simple de faire une belle réalisation fonctionnelle, ça demande du temps et une formation rigoureuse »
Le meilleur souvenir d’un prothésiste dentaire
Je suis curieuse et je demande à Ivan de me raconter un bon moment dans sa carrière pour finir notre entretien. Il plisse un peu les yeux avec un sourire ému avant de raconter « On avait travaillé sur un cas complexe, et j’étais venu au fauteuil à plusieurs étapes du projet pour accompagner le praticien et sa patiente et récupérer le plus d’éléments possible in situ. J’ai revu la patiente après la pose et elle m’a dit « à chaque fois que je souris je pense à vous ». Et moi à chaque fois que je le raconte j’ai la chair de poule, parce que c’est vraiment ça le sens de ce métier. »
Il est comme ça Ivan, il a le sens d’un métier émouvant.
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